Hier
j’ai dit à une amie française que je ne comprenais pas le tableau que les
observateurs nous donnent de la population américaine : une working class blanche en chute favorable
à Trump ; des minorités noires, mexicaines et autres favorables à Hillary.
Les femmes favorables à Hillary.
Mais
où sont les managers, les technologues, les entreprises innovantes, les
communicants, les scientifiques et les étudiants, tous massivement, quoique
sans conviction, pour Hillary. En un mot cette Amérique des deux côtes et de Chicago,
cette Amérique qui dirige le monde et crée l’avenir, où est-elle ?
Une
partie d’entre elle a voté pour Sanders mais Sanders lui-même s’est rallié à Hillary.
L’explication
pseudo sociologique qu’on nous donne partout, la chute de la classe moyenne et
ouvrière blanche n’est pas suffisante pour expliquer le renversement qui vient
de se produire. J’en conclus que le choc qui a fait basculer l’Amérique ne se
réduit pas à la crise économique des petits salariés blancs. D’autant que cette
crise est moins profonde que celle de l’Europe, puisque les États-Unis sont en
croissance malgré tout.
J’en
conclus sans hésiter que comme souvent les sondeurs et les analystes ont dans la
tête une représentation du pays étudié qui a 50 ans de retard. Le choc qui a
fait basculer la majorité des Américains vers Trump et dont les effets
continuaient à se renforcer au moment des élections n’est pas seulement d’ordre
économique. Les Américains se sentent menacés de manière plus globale. Ils
n’ont pas oublié le 11 septembre 2001 et les milliers de morts affreuses des
employés des deux tours du World Trade Center ; ils ont le sentiment de
perdre face à la Russie l’influence qu’ils avaient gagnée en Orient. Plus
simplement encore, après s’être identifiés à la modernité pendant un demi-siècle
ils sont repoussés vers la situation commune, la peur devant une globalisation
non dominée. En un mot, la peur de pouvoir perdre le pouvoir sur le monde d’où la
véritable disparition de cette élite éduquée qui portait les idées libérales et
une vision universaliste du monde. Trump s’enferme dans un isolationnisme
agressif, comme un simple saoudien ou comme Erdogan. Il n’y a plus personne,
maintenant que le faible mais bienveillant Obama a disparu, pour se soucier de
gérer la paix du monde. Rien d’étonnant ni de scandaleux dans tout cela mais
d’un coup tous les dangers ont augmenté et Trump a même osé annoncer tout de
suite qu’il ne ratifierait pas les accords de Paris, ce qui peut détruire en un
instant tous les progrès qui nous avaient encouragés. Le monde d’aujourd’hui
doit logiquement s’organiser autour d’une confiance dans la nouvelle économie
mondialisée. Cette confiance était très normalement appuyée par les États-Unis
qui pouvaient limiter les réactions communautaristes, identitaires ou même
totalitaires des pays qui se sentent menacés par cette alliance de la science
et des armes américaines.
Mais
maintenant que Trump est au pouvoir, qui va représenter les nouveaux droits de
l’homme ? Qui va, après les succès remportés en Europe pour les droits
sociaux, défendre les droits culturels ? La réponse risque de nous écraser
mais il n’y en a pas d’autres. Ce ne peut-être que l’Europe, ou du moins la
partie de l’Europe qui n’a pas encore complétement trahi les droits de l’homme,
que Polonais et Hongrois, si souvent aidés de ces droits de l’homme foulent au
pied en les méprisant.
Ce
n’est pas une Europe avec ou sans Brexit qui peut jouer ce rôle tellement le Royaume-Uni
nous a habitué à n’être que l’arrière cours de la City de Londres. Nous avons
besoin d’une petite Europe décidée à défendre un état de droit mais cette Europe
est incapable politiquement d’assumer une tâche aussi noble et aussi dangereuse.
Elle a donc besoin de transformer profondément sa vie politique ; Mme Merkel
a eu le grand courage de s’engager seule, mais elle est de moins en moins
suivie.
Puisque
le système français est complétement décomposé c’est aux Français à prendre la
relève en débordant leurs partis moribonds ou morts. Politiquement la France est
impuissante mais les Français sont beaucoup plus engagés que leurs dirigeants
dans la conscience des nouveaux droits à défendre, par priorité les droits
culturels et ils ont une expérience historique sans pareil pour défendre, au
nom de la nation, ce qui n’est pas national mais universel : la liberté,
l’égalité et la fraternité. On peut espérer que la France qui ne peut pas
choisir un président d’avenir mais qui peut choisir un président de transition
va se réveiller enfin, cesser de répéter les mots du passé pour apprendre ceux
de l’avenir. Je ne suis pas certain que nos voisins Allemands, Italiens,
Espagnols, Belges, Hollandais et Portugais seront disposés à redonner avec nous
à l’Europe le rôle de défenseurs d’un monde ouvert et libérateur. Mais puisque
les Américains renoncent et se limiteront maintenant à chercher une paix
blanche avec Poutine au Moyen-Orient ; c’est à nous à sortir de nos
banlieues de l’histoire et à reprendre la place centrale, plus dangereuse mais
aussi plus noble et plus généreuse qui a été plusieurs fois la nôtre dans le
passé. Je pense que nous trouverions quelques amis dans le monde, en
particulier en Amérique latine.
Je
ne dis pas que l’Europe doit substituer son hégémonie à celle des États-Unis,
je dis seulement qu’elle doit faire entendre la voix des nouveaux droits à
défendre et des nouvelles libérations à conquérir. Je suis à vrai dire plus
optimiste encore. Car j’ai assez d’estime pour l’Amérique, créatrice et libératrice,
pour penser qu’elle ne supportera pas longtemps l’isolationnisme médiocre et en
plus écologiquement dangereux de l’homme d’affaire qu’elle vient de laisser pénétrer
par effraction dans le salon ovale.