Après avoir publié sur ce blog tout nouveau une dizaine de textes brefs mais qui en indiquent déjà l'orientation générale, je sens la nécessité de prendre la parole un peu plus longuement, pour me présenter. Pas à coup de photos, au moins cette première fois, mais en définissant le plus clairement possible mon projet intellectuel. Je sens parfois que je laisse flotter un trop de flou autour de lui, comme si j'avais peur de m'enfermer dans une idéologie, mais en fait je me sens ferme dans ma marche et je sens l'urgence de m'expliquer clairement.
Mon point de départ est autant historique que sociologique, car je tiens à ma double orientation. C'est mon refus des visions de l'histoire, qui m'ont, comme presque nous tous, attiré au début de ma vie, bien que je n'aie jamais été communiste. Car les philosophies de l'histoire qui voient celle-ci comme un système en mouvement, porté par ses lois "naturelles, risquent toujours d'écraser la liberté humaine sous les déterminismes , culturels aussi bien qu'économiques, au point de nous faire basculer dans des régimes totalitaires, fondés sur une vision culturelle dans le cas du nazisme et économique mais aussi volontariste dans le cas du léninisme qui n'a pas la solide base philosophique du marxisme.
La principale expression historique des philosophes de l'histoire a été l'idée révolutionnaire qui fit apparaître la prise de l'Etat par la force comme l'expression conjointe de la nécessité historique et de la volonté populaire renversant les obstacles dressés par les maîtres des institutions. J'ai toujours voulu reconnaître la priorité des mouvements sociaux sur les politiques révolutionnaires et je n'ai jamais voulu considérer la Révolution française comme un bloc, opposant au contraire l'oeuvre libératrice de la Constituante à la Terreur de la Convention montagnarde. Je sens encore en France la puissance de l'idée révolutionnaire, mais tout me démontre qu'elle ne correspond plus à aucune politique possible et tout mon travail intellectuel a été consacré à donner des fondements à une pensée et à une action fondamentalement démocratiques, en opposition complète avec la pensée que François Furet appelle à juste titre l'"illusion" révolutionnaire.
Ce qui me sépare nettement du réformisme politique qu'on appelle aujourd'hui tocquevillien, pour ne pas évoquer des figures beaucoup plus conservatrices comme Guizot, c'est que je refuse de donner la priorité à l'action politique sur l'action et les mouvements sociaux. Dans les mouvements et les "printemps" qui éclairent le monde actuel je ne vois pas une confiance absolue dans les institutions démocratiques- les élections se retournant souvent contre les mouvements de libération- mais une volonté passionnée d'éliminer les régimes autoritaires et d'abord les dictateurs eux-mêmes. J'aimerais parler d'une "passion de soi", passion de soi comme sujet et donc comme acteur, qu'on ne peut pas confondre avec le narcissisme ou avec la volonté de puissance nietzschéenne.Cette conscience, si forte dans les sociétés "modernes", est l'"humanisation" de l'appel à l'idée d'un créateur ou d'un roi sacré ou de l'histoire comme créatrice de sens pendant ce que Hobsbawm a appelé le siècle des révolutions. Vision de la modernité que j'oppose fortement à sa définition par la sécularisation, qui plaît tant aux défenseurs du libéralisme économique et politique. Seule cette passion du sujet est capable d'endiguer les populismes autoritaires qui débordent si facilement les institutions démocratiques.
C'est ici que je débouche directement sur une pensée politique du présent.Plus s'étend l'empire des pouvoirs, aussi bien du capitalisme que des régimes communistes et des nationalismes autoritaires, et plus la seule force de résistance qui peut l'emporter sur eux doit déborder la défense de droits particuliers, qu'ils soient politiques, sociaux ou culturels et devenir un mouvement général, démocratique, car le seul fondement solide de la démocratie est l'affirmation des droits universels et fondamentaux de tous les êtres humains, ceux qu'on appelle les droits de l'homme, en n'acceptant plus que des ex-révolutionnaires se moquent cyniquement du "droits de l'hommisme" qui montre au contraire partout sa puissance libératrice.
Alors que la pensée du19ème siècle a été dominée par l'idée d'un accord final entre l'homme et la nature, à travers les victoires de l'homo faber, je pense, de manière inverse, que le sujet humain s'affirme de plus en plus dans sa liberté et sa responsabilité, contre tous les déterminismes et contre tous les autoritarismes, comme construction d'un monde d'égalité et de solidarité, d'un monde où l'affirmation du sujet et de ses droits étend de plus en plus, dans le monde entier et dans tous les domaines de l'expérience humaine la capacité des êtres humains d'être les acteurs de leur existence et de leur histoire.
Cette rupture du système et des acteurs dont au contraire la complementarité était la pierre angulaire de la sociologie classique, en particulier chez Talcott Parsons et ses élèves, est l'affirmation sur laquelle je m'engage avec le plus de force.. Je me définissais au début de mon travail comme sociologue de l'action; je préfère aujourd'hui me dire sociologue du sujet et des acteurs. C'est pourquoi je peux parler d'ère post-sociale et post-historique. Ce qui est très loin des pensées prudentes de la pensée politique qui me semble recueillir l'héritage intellectuel des social-démocraties européennes, au moment où cclles-ci sont partout épuisées.