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mercredi 16 décembre 2015

Le viol de guerre




J’ai vu sur TV Sénat, si souvent excellent, une émission sur le viol de guerre au Congo, dit démocratique, plus précisément dans le Kivu. C’est aussi le portrait d’un médecin admirable, le docteur Mukwege, obligé de vivre dans son hôpital pour ne pas être assassiné. Il faut entendre la vérité dont il témoigne. Le viol des femmes et même des enfants, parfois de bébés, n’est pas l’effet de la brutalité de la soldatesque ou même de tous les soldats là où la violence règne sans limites ; c’est un acte volontaire de guerre que ces monstres poussent jusqu’à transmettre volontairement le sida à leurs victimes. Il s’agit bien d’un génocide, de la volonté de détruire une population.
Ce jugement prononcé sobrement mais sans appel est si juste qu’il s’impose de la même manière aux massacres perpétrés par Daesh. On peut reconnaître que certains des jeunes jihadistes français ont été emportés par une vague de violence et savoir que certains, même arrivés en Syrie, deviendront des repentis, mais déjà pris dans le système de la violence absolue. Mais c’est une raison de plus d’affirmer que le sens du massacre du 13 novembre ne peut pas être trouvé dans la psychologie de certains des acteurs, qu’il doit l’être dans la nature même du projet qui définit l’Etat Islamique : créer l’horreur, la peur pour faire tomber l’adversaire dans un piège : il envahira le pays où ses soldats seront massacrés ; ce qui provoquera un véritable écroulement de l’Occident impie. Sans penser que cet islamisme radical conduirait ainsi non seulement lui-même mais aussi l’Islam, comme foi religieuse à la disparition, victimes de déchirements politiques internes. Daesh sacrifie l’Islam autant que ses victimes soit chiites soit occidentales au rêve impérial d’un nouveau califat qui ne peut produire que la guerre.
Les pays occidentaux ne tomberont pas dans le piège d’envoyer des troupes au sol mais ils doivent donner aux Kurdes d’Irak les armes nécessaires à la prise de Rakka, capitale du califat, et exercer une pression efficace que tous les pays qui soutiennent en sous-main Daesh et s’opposent en même temps à la réduction des énergies d’origine fossile, charbon essence, gaz réduction dont nous avons besoin pour limiter la dégradation du climat. Il ne s’agit pas seulement de limiter la perversion de l’islam par un projet totalitaire ; il faut supprimer un régime dont le but central est la guerre contre tous ceux qu’il considère comme ses ennemis.



jeudi 3 décembre 2015

Hommage aux français


Peut-être certains des lecteurs de ce blog se sont-ils étonnés de mon silence tout au long de cette semaine. L'explication de ce silence était dans mon absence. Je n'avais pas voulu annuler au dernier moment des engagements déjà anciens à m'adresser a des enseignants et des étudiants italiens de Milan. Et c'est naturellement que j'ai été amené à donner mes premières réactions au journal le plus lu à Milan, le "Corriere della sera".

Je viens de rentrer à Paris et je tiens à m'adresser à vous tous le plus vite possible, tellement la gravité des événements de cette semaine nous oblige à réfléchir sur nous-mêmes et surtout parce-que, en ce moment comme le 11 Janvier dernier, jour de la marche pour Charlie, ma réflexion la plus intense n'est pas dominée par la peur ou par la connaissance de nos faiblesses mais au contraire par l'espoir et la confiance dans la France et sa capacité de redressement que je vois sur les visages et que j'entends dans les mots employés. 

J'avais été impressionné, pendant la marche du 11 janvier, soulèvement de masse en solidarité avec les victimes des attentats et en particulier avec les journalistes de Charlie Hebdo assassinés par des Jihadistes, de ne pas avoir entendu de cris de vengeance dirigés contre l'Islam. J'ai admiré alors notre conscience nationale consacrée à affirmer notre attachement passionné, presque religieux, à la liberté d'opinion et d'expression, sans laquelle la démocratie perd toute existence réelle. 

Depuis le vendredi 13 Novembre, notre douleur est plus grande encore, tant le massacre de masse, au Bataclan et ailleurs, nous a tous couvert de sang.

Mais, pour cette raison même je sens avec au moins autant de force qu'en Janvier la présence d'un sentiment qui avait presque disparu de notre pays, celui d'avoir retrouvé comme nation, à cause même des attentats subis, la conscience que, malgré nos faiblesses et nos erreurs, nous portons, dans nos blessures mais aussi dans nos émotions et notre sang froid, la conviction la plus sincère et la plus résolue, que nous défendons la dignité de l'être humain. Ce n'est pas la puissance de notre Etat qui fut colonial, qui a été frappée ; c'est l'ensemble des femmes et des hommes qui résistent en eux-mêmes à la mort de tant d'innocents au nom de l'amour de la vie et non pas de la haine des autres, qui n'est pas le sentiment qui nous anime.

Je comprends que le premier souci des psychologues dont le rôle, heureusement, est de plus en pus largement reconnu, soit d'aider ceux et celles qui étaient les plus proches des victimes ou qui ont été plongés le plus brutalement dans l'horreur de la mort et de nous aider tous à résister à la peur et à la haine.

Mais j'affirme ici que, plus présent encore que la peur, l'horreur et la condamnation à été et restera, pendant ces journées, notre propre retour à la confiance en nous mêmes, en l'estime en nous mêmes, en la conviction sans arrogance que nous sommes, au plus profond de nous mêmes, dignes de vivre et de souffrir pour la liberté.

J'ai retrouvé la confiance en nous mêmes ; nous ne sommes pas portés vers l'appel à plus de sang versé ici ou ailleurs, mais par notre conscience d'être du côté de ceux qui veulent reconnaitre à tous le droit de vivre dignement comme êtres-humains.

Ces mots de s'envolent pas à peine prononcés. Ils sont plus forts et plus libérateurs que les moyens de défense et de protection que nous devons renforcer.

Je veux donner à ces mots une forme plus concrète et plus immédiate.

J'ai beaucoup entendu dire ces derniers mois, dans les pays où j'ai présenté mon travail et le sens que je lui donne, que le plus important dans les pays en difficulté, comme la France, l'Italie et l'Espagne, était de renouveler et de transformer leur système politique et en particulier leurs partis. Je reconnais la pertinence de ces réflexions, en particulier en Espagne. 

Mais les morts et les souffrances ne donnent-ils pas à la France une force de redressement plus puissante et pus efficace encore. Au delà de la conscience de l'injustice et de l'horreur subies, elle nous assure du droit des justes à la vie. Ceux qui écoutaient de la musique ou rencontraient des amis n'étaient ni des prédateurs, ni des agresseurs mais des hommes et des femmes, des vieux et surtout des jeunes, qui aimaient la vie, qui étaient attachés au droit de vivre.

A nous de défendre, en premier lieu, pour eux ce droit, en démontrant dans ce pays plus connu pour ses accusations contre lui-même que pour sa recherche dune grandeur disparue, que le respect de la vie et de la dignité de chaque être-humain est notre devoir prioritaire.

Vous m'accuserez peut-être de penser seulement aux adultes, alors que beaucoup d'enfants ont été profondément perturbés par la violence qu'ils ont vue et dont les effets sur eux ont été destructeurs. Mais de nombreux témoignages soulignent que beaucoup d'enfants dans les écoles se sont adressés à leurs enseignants pour que ceux-ci leur révèlent le sens de ce qu'ils voyaient et qui les choquait profondément. Comment ne pas percevoir la différence entre Janvier 2015 quand des élèves et mêmes des enseignants refusaient de respecter une minute de silence pour les victimes. La violence du choc n'a-t-elle pas rapproché élèves et enseignants et répandu sur tous la conscience que cette violence vécue ne pouvait pas être justifiée ou expliquée par la puissance ou la domination de la France depuis longtemps disparues. En fait beaucoup de français sont écrasés par le poids des fautes et des crimes commis en leur nom mais dont ils ne peuvent pas se sentir responsables. Pour les plus vieux d'entre eux, comme moi, c'est la capitulation de 1940 qu'ils se reprochent, même si ils étaient encore enfants. Pour d'autres, plus jeunes, c'est la série des violences coloniales, du Vietnam à Madagascar et surtout à l'Algérie, aux généraux soulevés contre De Gaulle et ordonnant de torturer les combattants de l'indépendance algérienne. 

Notre premier objectif doit être évidemment la lutte contre les terroristes. Mais un tel but ne peut pas être atteint en transformant tous les citoyens en policiers ; il peut l'être au contraire en convaincant tous les français qu'ils souffrent et qu'ils luttent pour les droits humains les plus fondamentaux. Nous devons avoir confiance dans notre conception de la vie et du respect de la dignité de tous. J'ai la conviction concrète qu'en cette année 2015 à travers les épreuves subies mais aussi l'expérience de leur propre comportement responsable les français retrouvent la confiance en eux-mêmes et dans les formes de vie collectives qu'ils se sont donnés. La manière dont les français ont répondu et répondent aux attentats de Janvier et de Novembre me donnent plus d'espoir pour notre avenir que le déferlement des haines auxquels appellent quelques hommes politiques. 

Ce réveil de la capacité et de la volonté d'action pour la liberté est-il durable ? Va-t-il imposer de nouvelles orientations et de nouveaux conflits à l'action politique ? Je n'en suis pas certain. Car le monde proprement politique s'est beaucoup éloigné de l'expérience vécue ; il constitue une barrière qui sépare les expériences personnelles de la logique économique et militaire qui domine la vie des Etats et qui est de plus en plus étrangère au sens que les acteurs donnent à leur vie sociale et à leur propre action. 

J'ai pourtant un certain espoir, parce que la gauche politique a presque complètement disparu et donc que seuls les acteurs sociaux réels peuvent résister au danger créé par une droite souverainiste qui entraine la France vers le passé et lui fait tourner le dos à l'avenir. 

Je veux parler plus concrètement encore. Nous assistons depuis plus d'un an à la création d'un pôle "hollandais" de la vie politique, de plus en plus éloigné de ce que nous avions pris l'habitude d'appeler la gauche, qui s'est vidée de toute force politique par son double refus de la croissance économique et de la justice sociale et par son incapacité a reconnaitre la priorité du niveau mondial et européen sur le niveau national dans l'analyse et dans l'action. 

La crise dramatique de 2015 déclenchée par les attentats semble à beaucoup favoriser la droite souverainiste. Je crois le contraire: Hollande par sa réponse juste aux attaques subies peut l'emporter sur une vieille gauche et une vieille droite également épuisées et attirer près de lui ceux et celles qui veulent croire à la modernisation de la vie politique et des droits fondamentaux au moment où la France, qui sort encore trop lentement de la crise économique, reprend enfin confiance en elle-même.

lundi 12 octobre 2015

L'irremplaçable.


Je trouve une belle idée dans le livre de Cynthia Fleury, psychanalyste et philosophe. Elle ouvre son livre L'Irremplaçable par une opposition entre l'individuation et la subjectivation. Les hommages à la subjectivation ne sont pas si fréquents et celui-ci a du poids ! Mais il faut que cette opposition soit pleine et entière, tout en donnant une force égale aux deux formes opposées de destruction de la place centrale que nous avons accordée pendant si longtemps à la société, au social, dans nos pensées sur la grandeur humaine. Elle a visé juste en recourant au thème de l'irremplaçabilité du disparu ou de l'aimé. Thème que nous voyons ressurgir après des siècles d'apparente disparition dans les feux de la passion romantique. Nous revient à l'esprit la phrase parfaite de Montaigne parlant de La Boétie, auquel le liait une amitié profonde, qui ne fut interrompue que par la mort de son ami à l'âge de 33 ans: "parce que c'était lui, parce que c'était moi". Montaigne n'est pas la figure accomplie de la subjectivation, mais nul n'a mieux parlé que lui de l'ami irremplaçable. Plusieurs livres récents ont redonné vie au thème de la singularité, mais Cynthia Fleury a visé plus juste en plaçant au coeur de l'individuation l'idée douloureuse et captivante de l'irremplaçable.


mardi 6 octobre 2015

Subjectivation / Désubjectivation


1) Subjectivation.

Pour moi c'est le mot que j'emploie avec le plus de joie et de respect à la fois ; j'en viens parfois à croire qu'il est capable par lui-même de faire apparaitre ce qu'il désigne et qui est pour moi ce qu'il y a de plus beau dans une vie humaine. Mais ce mot n'est pas encore répandu et on risque en l'employant de lui donner un sens exactement opposé à son sens réel. C'est pourquoi je veux faire connaître le sens de ce mot que j'aime avec passion et dont j'ai fait mon drapeau: la subjectivation.
Chacun comprend assez facilement que sa racine est: sujet et que par sujet je ne désigne pas celui qui est soumis a un roi ou a un maître, mais le contraire: l'être humain en tant que créateur, transformateur et aussi malheureusement destructeur de lui même et de son environnement social et naturel. 
Ce mot n'est apparu que quand toutes les lumières du sacré ce sont éteintes c'est-à-dire, quand les hommes ont commencé à être tout puissants par leurs machines, leurs connaissances, leurs armes, leurs ordinateurs… et aussi quand la plupart d'entre eux ont eu conscience qu'ils pouvaient être entièrement dominés, manipulés et détruits par les plus puissants. C'est même l'expérience du totalitarisme qui a fait renaitre les idées de sujet et de subjectivation que bien des philosophes avaient voulu étrangler. Car contre la puissance totale il ne suffit plus de défendre des droits, d'imposer des limites au pouvoir des tout puissants ; la seule défense possible est d'affirmer pour soi, mais attention ! Pour tous les êtres humains le droit supérieur d'être créateur, libre et responsable.
L'idée de sujet est réapparue pour remplacer celle de sacré, celle d'un principe créateur extérieur au monde humain. Avec la société industrielle la capacité de création mais aussi la capacité de domination et en face d'elle la volonté de libération ont fait un immense pas en avant qui nous a apporté le meilleur et le pire. Mais maintenant nous sommes plus puissants encore que dans la société industrielle, parce que non seulement nous modifions les choses avec nos machines et nos calculs, mais en plus nous modifions les esprits, les opinions, les représentations, les choix, les décisions et par conséquent nous avons besoin de nous affirmer non pas grâce à nos machines mais par nous mêmes comme des créateurs, c'est-à-dire d'affirmer nos droits fondamentaux d'être et d'être reconnus comme des créateurs. Partout s'est répandu le mot qui manifeste le plus clairement ce droit fondamental que nous voulons défendre: la dignité. Je l'avais adopté moi-même il y a quelques années déjà mais je le lis et je l'entends partout et en particulier dans les textes et les discours d'un homme qui est devenu probablement la personnalité la plus admirée dans le monde, le Pape François, qui emploie ce mot constamment. Partout on entend: je veux qu'on respecte ma dignité, je veux être traité comme un être humain, je ne veux pas être humilié. L'exigence de dignité est l'expression la plus concrète de la subjectivation. En tant qu'être humain je suis un homme ou une femme, un employé ou un scientifique, un riche ou un pauvre, un musulman, un chrétien ou un athée, mais dans tous les cas je suis, j'ai le droit d'être un sujet. Le droit d'être un sujet est au sommet de la vie moderne comme le respect du sacré était au sommet des sociétés traditionnelles et faibles.
C'est quand un individu ou un groupe deviennent des sujets, affirment leur dignité, qu'ils peuvent devenir des acteurs de libérations concrètes, culturelles, sociales, sexuelles ou autres. Et contre les pouvoirs totaux ou totalitaires si puissants d'aujourd'hui, il n'y a pas d'autre arme efficace que le soulèvement des dignités humiliées, méprisées, enfermées, décapitées.

2) Désubjectivation.

je relis mon texte sur la subjectivation et j'entends une critique qu'on me fait constamment: on m'accuse de trop parler de ce qui est positif mais de ce qui perd les batailles et pas assez de ce qui est négatif mais qui les gagne. Reproche que j'accepte et même que je revendique. Car le mal parle fort et est convaincant, tandis que la voix de la justice et la liberté reste toujours dans l'ombre et que beaucoup, en essayant d'y avancer, se font tirer dessus.
Je suis sûr d'avoir raison de parler pour ceux et avec ceux qui espèrent des libérations ; mais il faut aussi décrire dans tous ces détails le monde du mal, celui de la violence, du racisme, de l'antisémitisme, du colonialisme, du totalitarisme. Il faut montrer les traits communs de toutes les formes du mal, car elles ont toutes le même objectif: la désubjectivation.
Et il faut parler de toutes avec colère, car elles se situent toutes dans le même univers, celui du refus, de la destruction, du mépris de l'universalisme des droits humains, de la dignité des individus, des groupes, des peuples. La désubjectivation est le refus de voir le sujet dans l'être humain, dans sa vie personnelle comme dans sa vie sociale ou culturelle. Elle réduit toutes leurs conduites à l'intérêt, au pouvoir ou à la violence. Derrière tous les totalitarismes, et les maintenant debout comme le cadre maintient la toile, on voit le mépris des individus et des collectivités, le pessimisme sans issue qui prépare la soumission a un mal qu'on feint de juger invincible. 
C'est pourquoi les armes les plus indispensables a ceux et celles qui veulent combattre la désubjectivation sont l'estime de soi et des autres et le courage de l'affirmer publiquement.


lundi 5 octobre 2015

Les deux France selon Guilluy.

J'ai suivi avec grand intérêt et même admiration le travail du géographe Christophe Guilluy. Parce qu'il est un des premiers a regarder le territoire français d'un point de vue mondial, alors que ceux qui ont redessiné ses régions l'ont fait d'un point de vue étroitement hexagonal. 
Ils montrent que la partie de la France, qu'il appelle métropolitaine, celle qui est bien reliée au monde, est minoritaire par rapport a la France périphérique. Surtout il souligne le profond bouleversement qu'a signifié la disparition des classes populaires de la région parisienne (y compris peu à peu du 93) et leur remplacement par des catégories sociales beaucoup plus élevées. Mais quelle conclusion politique en tire-t-il ? Je suis tenté d'abord de reconnaître dans ses propos un thème central du Front National dont l'électorat est en effet avant tout placé dans la France périphérique et donc dans les classes populaires et aussi parmi les jeunes, plus fortement touchés par le chômage. Mais j'ajoute aussitôt que je tire de cette constatation une conclusion opposée: il faut augmenter fortement et rapidement la part de la France moderne qui se réduit en fait à l'heure actuelle aux métropoles parisienne et lyonnaise. Car Lille n'est plus une métropole depuis la désindustrialisation, ce qui est une catastrophe, et Marseille ne l'est pas - alors que Barcelone l'est - car le clientélisme et la corruption y ont fait de graves dégâts.
Je peux m'appuyer sur l'exemple de notre période industrielle. Les forces de progrès y ont été celles qui défendaient les catégories populaires qui appartenaient à la France moderne, c'est-à-dire industrielle, du pays. Nous avons connu au contraire une longue tradition conservatrice qui s'appuyait sur les régions sous-développées, souvent fortement encadrées par l'église catholique et qui compensaient leur faible influence économique par l'appui qu'elles apportaient à la droite autoritaire. 
j'espère que Christophe Guilluy acceptera ce rappel historique. J'ajoute aussitôt que s'appuyer sur les forces de production modernes veut dire aujourd'hui en premier lieu sauver les agriculteurs et les éleveurs exploités par les industries agroalimentaires. Et surtout qu'il faut appuyer à la fois ceux qui défendent des projets nouveaux et ceux qui ne reçoivent qu'une rémunération insuffisante pour la gestion d'équipements couteux, ce qui est souvent le cas dans le monde agricole. Le F.N. peut parler pour des catégories défavorisées mais il n'est pas capable - et pas préparé - à relancer l'économie française dans un monde internationalisé, ce qui est la condition première de l'amélioration de l'emploi et des rémunérations.




jeudi 1 octobre 2015

Le bluff de Poutine.


Le retour de Poutine aux Nations-Unies après dix ans d'absence a satisfait ceux qui ne voient dans le rappel des crimes de Bachar-El-Assad qu'une nouvelle volonté de l'impérialisme occidental et ceux qui en appellent à l'efficacité de la Realpolitik. Leur argument est simple: l'ennemi le plus dangereux est Daech ; il faut donc s'appuyer sur Bachar dont les forces sont très inférieures et qui ne mobilisent pas des foules de jeunes jihadistes. Cette stratégie semble rationnelle: unissons-nous contre notre ennemi commun le plus dangereux. 
Mais un instant de réflexion nous fait douter de ce raisonnement - et pas du tout pour des raisons morales. Depuis des années la Russie arme Bachar ; il y a même des troupes russes - peu nombreuses il est vrai - dans la région de Lattaquié fidèles à Bachar. Mais quelle part le grand allié russe a-t-il pris dans la lutte contre Daech ? Aucune. Peut-être parce que les généraux russes ont gardé le sinistre souvenir de leur défaite complète devant les talibans d'Afghanistan.
Rien, absolument rien, ne nous prouve que l'armée syrienne armée par les russes et appuyée directement par eux peut l'emporter sur Daech. Bachar ne contrôle qu'une faible partie de son territoire et c'est toujours vers Daech qu'affluent les jeunes jihadistes. Deux bons connaisseurs de la région, Gérard Chaliand et Marie Mendras ont apporté récemment une information importante. Poutine perd du terrain dans le Donbass, là où les sécessionnistes ukrainiens sont le plus forts. Ne cherche-t-il pas en Syrie une compensation a ce revers ? Ne dit-il pas a Obama: attaque Daech et pendant ce temps je remettrai en selle mon ami Bachar, défait et detesté. De toute évidence donc, il ne faut pas se laisser manipuler par Poutine. J'en reviens a ma positon déjà ancienne: c'est aux Etats nationaux sunnites, Turquie en tête, de combattre Daech au sol. Reste pour moi un point obscur: pourquoi l'Iran chiite qui vient de signer un accord important avec les Etats-Unis appuie-t-il si fortement Bashar et Poutine ? La réponse est peut-être au Yemen ou l'Iran se heurte à la coalition menée par l'Arabie Saoudite ; mais les deux régions sont nettement séparées...
Je dois d'urgence me renseigner.

mercredi 30 septembre 2015

Défense de l'Etat national.


Les catalans viennent de voter pour leur indépendance. Ils ne sont pas vraiment arrivés à une majorité absolue des suffrages mais ils ont élu une nette majorité d'indépendantistes.
Si on ajoute que la Bavière a un parti Chrétien démocrate différent de celui de l'Allemagne, dirigé par une très forte personnalité - l'actuel ministre des finances Schaüble et qu'en Italie la Ligue, qui est séparatiste, gouverne une grande partie de l'Italie du nord et enfin si on se souvient que les communautés belges sont séparées l'une de l'autre par des langues différentes, comment ne pas reconnaitre que la France "une et indivisible" est en fait isolée devant une crise générale des Etats nationaux. Comment surtout ne pas voir qu'elle n'est pas elle-même a l'abris de mouvements séparatistes ? Le gouvernement est très conscient du renouveau possible du mouvement breton ; c'est même la raison pour laquelle il refuse de rattacher Nantes à la Bretagne.
Dans un monde dominé par le commerce international, Singapour et Hong-Kong sont des villes-mondes en lutte pour leur indépendance ou pour son renforcement.
Dans le cas de l'Espagne ce n'est pas sa supériorité économique qui explique la volonté d'indépendance de la Catalogne ; c'est une raison contraire ; c'est parce que Madrid dépasse de loin maintenant Barcelone dans la vie économique internationale. Les catalans cherchent a se protéger contre la domination de la capitale de l'Espagne. 
Mais la tendance dominante aujourd'hui n'est pas la fragmentation des anciens Etats ; c'est plutôt la création d'Etats homogènes, communautaires. Par exemple en Europe c'est le cas des Etats nés de la décomposition des empires, turc, russe, ostro-hongrois et même du mini-empire serbe. Ce modèle d'Etat est le plus dangereux car il porte en lui la guerre avec ses voisins.
C'est parce que je suis résolument opposé aux Etats communautaires que je reste attaché aux Etats nationaux. Car en ceux-ci des populations de cultures différentes se mélangent pour constituer une civilisation, c'est-à-dire une voix d'accès a l'universel. De petits Etats, comme les Pays-Bas ou la Suède ont créé de grandes civilisations, ont fait naitre des penseurs et des scientifiques et ont inventé des institutions. Surtout ils ont été des défenseurs de la tolérance. Je ne trouve pas de défenses suffisantes contre le communautarisme dans le multi-culturalisme qui a été tant à la mode au Canada, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et même en Allemagne pendant les récentes décennies. J'ai plus de confiance dans la mixité, le mélange et même le métissage, qui aident des cultures particulières à s'élever vers l'universel. Notre vrai problème en Europe est: sommes-nous encore capable de créer une civilisation où sommes-nous réduits à être un territoire d'expansion pour la culture américaine ?  



mercredi 23 septembre 2015

En paix avec moi-même.




Aujourd'hui sort en librairie mon livre: Nous, sujets humains. Editions du Seuil .   Je me sens plus proche de ce livre que de tous ceux que j'ai écrits avant lui et même de La fin des sociétés qui m'a imposé tant d'efforts pour sortir intellectuellement des sociétés industrielles et nager longuement et difficilement vers un continent nouveau, pour quitter une société où les acteurs organisaient leurs luttes autour du travail. Je suis arrivé sur une terre où s'entendent surtout l'affirmation ou la négation du sujet humain, de ses droits et de sa dignité. Il est vrai que ma tête est encore pleine de catégories et de notions qui sont celles des sociétés industrielles où j'ai passé une bonne moitié de ma vie. Mais je commence à m'habituer aux voix que j'entends autour de moi et en moi. Ce que j'ai découvert d'abord dans ce monde nouveau c'est que partout le pouvoir y débordait la possession des ressources et consistait surtout a construire les images que les êtres humains ont d'eux-mêmes, de leur société et de leur environnement. J'ai senti se réveiller en moi le vieux thème effrayant mais éclairant du totalitarisme. Je suis si heureux d'être finalement parvenu à mettre le pied sur une terre jusque là inconnue. Si heureux que je voudrais considérer ce livre qui paraît comme mon premier livre, alors qu'il risque d'être le dernier.
Probablement parce que ce monde nouveau où je suis certain d'être entré, si il me fera entendre beaucoup de voix différentes de la mienne, me maintiendra protégé des discours structuralistes et que j'appelle post-marxistes qui m'ont si souvent fait tourner la tête sans me convaincre. J'ai aussi la quasi certitude que, quand je me suis si longtemps arrêté pour écouter la libération de Paris, les mouvements étudiants de Berkeley et de Nanterre, les manifs de l'Unité populaire chilienne, les grands mouvements libérateurs de Budapest, de Prague et surtout de Pologne, les rassemblements organisés par le sous-commandant Marcos à la frontière du Chiapas et du Guatemala et tant d'autres voix si vite éteintes, j'entendais les signaux qui m'indiquaient la direction du monde nouveau où j'allais si tardivement débarquer. Je suis au moins certain de ne pas avoir obéis aux sifflets des pouvoirs idéologiques, politiques et économiques qui prétendaient me montrer mon chemin. Certes j'ai souvent été écarté, mis de côté mais je ne me suis jamais arrêté de marcher et je sais maintenant que c'était dans la bonne direction. 
Je suis fatigué, peut-être déçu, parfois même triste, mais je termine ma vie en paix avec moi-même.

lundi 21 septembre 2015

Pourquoi le "sujet" est-il mort - pour les intellectuels - au milieu du 20ème siècle ?


Pourquoi la pensée sociale, au lendemain de la crise et de la guerre, élimina-t-elle les acteurs et leurs raisons d'agir et fit-elle la chasse à l'idée de sujet ? La réponse évidente est que les "événements", les massacres, le nazisme, tous les totalitarismes ont écrasé les acteurs sous le poids de la puissance et de la violence ; la mort a été plus forte que la vie et la répression a écrasé les convictions. Et finalement, comme l'avait prédit de Gaulle dès le 18 juin 40, c'est la puissance des armes et de l'économie qui a vaincu la machine nazie.
Plus profondément c'est parce que ceux qui parlaient alors de "l'Homme" étaient de mauvaise foi. "Le travail rend libre" est-il écrit dans le métal à l'entrée d'Auschwitz 1 et Staline n'exaltait-il pas "l'homme nouveau soviétique", Pétain à Vichy était appuyé par la hiérarchie catholique. L'appel aux valeurs ne cachait-il pas la tentation de la soumission et de la collaboration ? Il a fallu la dénonciation des totalitarismes et la perte des espoirs mis dans "le progrès" pour que nous commencions a nous tourner vers nous mêmes, pour trouver dans notre créativité et dans nos droits les raisons d'agir que nous ne trouvions plus dans "la force des choses".
Mais il a fallu un long demi siècle, une grande partie de ma propre vie pour que s'opère ce grand retournement et le "retour du sujet".

dimanche 20 septembre 2015

Ce n'est plus l'économie, c'est l'éthique qui commande.


Dans les sociétés industrielles les conflits sociaux étaient centrés sur le travail et sur l'organisation économique. Maintenant dans les sociétés de communication le pouvoir s'exerce sur les esprits et les idées plus que sur les ressources économique et le travail. C'est pourquoi je parle de pouvoir total.
Sous des formes évidemment très différentes dans les pays totalitaires, dans les régimes autoritaires et dans le monde du capitalisme financier - qui sont les trois modèles dominants de pouvoir - qui cherchent tous a dominer les esprits, les conduites et tous les processus de construction de la réalité, de formation des opinions et des représentations, des mécanismes de choix et de décision. 
A ces pouvoirs de plus en plus totaux répondent des mouvements et des protestations qui doivent être eux aussi de pus en plus totaux, des mouvements éthiques plus que politiques et démocratiques plus que sociaux et économiques. 
C'est en ce sens qu'on peut parler de conflits de cultures et de civilisations, mais qui sont aussi des conflits économiques et sociaux. L'année 2015 nous confirme cette transformation profonde de l'action collective et donc aussi de la vie de chacun. La marche du 11 Janvier a réunit des millions de participants qui voulaient défendre non des intérêts, des opinions ou des idéologies politiques, mais les libertés fondamentales sans lesquelles la démocratie n'a aucun contenu réel. Et maintenant les réfugiés syriens, victimes de Saddam Hussein, de Daech ou d'autres forces totalitaires ou autoritaires s'adressent, dans un mouvement volontaire sans précédent, à l'Europe pour demander la vie, la sécurité et la liberté. Nous découvrons aussi les intentions de Nicolas Sarkozy qui veut enfermer les réfugiés dans des camps de l'autre côté de méditerrannée et dont la voix ne porte aucune trace d'émotion.
Ce qui divise aujourd'hui l'opinion c'est l'opposition entre les défenseurs des droits humains universels et les défenseurs des identités et des protections communautaires. 
Certes, pendant plus de trois ans je me suis relativement éloigné de l'actualité pour construire une interprétation d'ensemble de la nouvelle société ; mais ce long travail m'a permis, je le crois, de découvrir l'essentiel. Comme d'autres au 19ème siècle ont découvert que le conflit des classes allait être pendant plus d'un siècle plus fondamental que les guerres entre les nations. Ma conclusion la plus concrète sur notre siècle et qu'il est plus dominé par l'éthique et la défense de la dignité humaine que par des intérêts économiques ou des conflits entre nations.




lundi 14 septembre 2015

Approcher Levi-Strauss.


Je réserve, ces jours-ci, de longues plages de mon temps à la lecture, qui obtiendra de moi de nombreuses heures, du livre d'Emmanuelle Loyer sur Levi-Strauss. Je ne donnerais pas le quart de ce temps à un exposé savant ou critique sur le structuralisme mais je suis heureux d'approcher de ce qu'il y a de plus personnel en lui, sa vie intellectuelle. Je suis touché par l'histoire des possibles apparus dans une vie prise dans son temps mais qui se transforma par une série de choix voulus ou reçus - le cas le plus extrême étant sa décision de partir pour plusieurs années au Brésil, décision qui dut être prise en une matinée - en une oeuvre qui, peu à peu, se détacha de lui jusqu'à se transformer en ce surprenant volume de la Pleiade, dans lequel ne figurent pas certains des textes les plus justement célèbres de celui qui devint "un auteur" après avoir été un chercheur et un créateur.
Les terrains, les circonstances, les influences sont différentes dans la vie de chacun, petit ou grand. Mais chacun de nous, surtout dans la cohorte peu nombreuse de ceux qui ont été conduis par une volonté de création, reconnait dans ce qu'il y a de plus personnel dans la vie d'un autre le mélange de composantes qu'il trouve dans sa propre vie. Même la différence entre le succès et son absence ne fait pas obstacle au caractère polyglotte de tout effort de création, comme de toute expédition de découverte, que le but principal en soi, la connaissance, l'action, ou la communication. Je me sens attiré vers la connaissance de ma propre histoire de vie par la découverte de l'histoire de la création dans la vie de Levi-Strauss. J'y trouve certains des éléments les plus importants dans mon interprétation de moi même et même l'idée que la société est un fait de nature, en deçà de toute historicité, ce qui est pourtant contraire a tout ce que je pense et éprouve mais qui me pose des questions qui me maintiennent vigilant. 


vendredi 11 septembre 2015

Je reprends mon blog.



Pourquoi l'avais-je (presque) interrompu ? Parce que je sentais le besoin (pressant, à cause de mon âge), de donner la priorité à l'élaboration et à la publication d'une vision d'ensemble de la société nouvelle, où nous sommes entrés. Je voulais aussi que ce type d'analyse puisse aider les actions collectives et les interventions, qui doivent traduire dans la vie publique ma conception de l'être humain comme sujet, c'est à dire comme porteur de droits et de dignité. 
Mon travail, mené sans interruption pendant trois ans et demi, a abouti a la publication de deux livres: La fin des sociétés Seuil 2013 et Nous sujets humains Seuil qui sera en librairie le 24 Septembre prochain. C'est sur ces piliers que je veux construire.
Le moment me semble donc venu d'exposer au jour le jour et en rapport avec l'actualité, les idées que j'ai élaborées pendant tant d'heures et tant d'années, car ce n'est pas mon jugement qui compte, mais celui que le monde d'aujourd'hui porte sur les idées qu'élaborent et présentent les sociologues, les économistes, les politiques et les témoins qui souffrent et qui meurent. 
Or, pendant que j'achevais de construire mes analyses, le monde vivant, souffrant et agissant a fait entendre sa voix en 2015 et a donné à mes efforts pour comprendre notre monde un écho qui les dépasse indéfiniment. Ce fut d'abord la grande marche du 11 janvier 2015 en France, après une série d'assassinats djihadistes dont les victimes les plus connues furent les dessinateurs de Charlie Hebdo; et c'est aujourd'hui l'appel de centaines de milliers de réfugiés venus surtout du monde arabo-musulman à l'Europe des droits et de la solidarité et - enfin ! La réponse positive de l'Allemagne d'abord et - je le souhaite de toutes mes forces - de la France et d'autres pays.
Le moment est donc venu pour moi d'éclairer ces mouvements où se révèlent le mieux les demandes de ceux qui souffrent et les expressions actuellement les plus fortes de la demande humaine de dignité. Je n'ai jamais voulu seulement regarder de mon bureau des foules qui défilent sous mes fenêtres. Maintenant moins que jamais. Les idées doivent combattre pour les corps qui souffrent et pour les droits des hommes, des femmes et des enfants les plus menacés.





samedi 18 juillet 2015

La question qu'il faut poser aux grecs

Le dramatique débat sur l'avenir économique de la Grèce semble s'être dédoublé. Deux questions et non plus une seule sont posées. La première est: Qui est responsable de la situation grecque? La . deuxième est: Les grecs peuvent ils supporter les mesures qui leur sont imposées? Ce qui oppose ces deux questions est que la première laisse entrevoir une condamnation des gouvernements grecs successifs, tandis que la seconde fait presque ouvertement appel à la culpabilité des européens. Alexis Tsipras semble entendre les deux questions à la fois, ce qui le fait passer constament t du oui au non, ce qui devrait le conduire au succès, parce qu'il est impossible à un grec, quel qu'il soit d'échapper à ces contradictions.Il a demandé aux grecs de voter  non pour pouvoir voter oui sur un accord auquel il faudrait, dit-il, voter non. En d'autres termes cet accord, pense-t-il, est mauvais mais meilleur que l'absence d'accord qui conduirait son pays à la catastrophe, ce qui réjouirait l'ennemi No 1, l'affreux Schaüble, le ministre des Finances d'Angela Merkel

 Comment Tsipras et tous les grecs peuvent-ils sortir de ces contradictions? La réponse à cette question ne peut pas être difficile à trouver. Après la grande crise financière de 2007- 2008 tous les pays se sont lourdement endetté pour sauver leurs banques et leurs entreprises et éviter un nouveau 1929. Quelques  pays ont eu de plus grandes difficultés que les autres, l'Irlande, le Portugal, l'Espagne la Grèce, mais les trois premiers se sont sortis ou vont se sortir d'affaire; seule la Grèce est tombée dans le trou. Pourquoi, parce que les riches et les très riches n'y payent pas d'impôts ou cachent leur fortune dans des paradis fiscaux et qu'une partie des classes moyennes a obtenu de fortes augmentations de salaire et a un régime privilégié de retraite ( on m'a parlé d'un départ à la retraite à 53 ans pour certaines catégories de sorte que c'est la masse des petits salariés et retraités qui a payé toute la charge du redressement. Le mystère qui demeure est: pourquoi pendant les six mois qu'elle a passés au pouvoir l'extrême gauche a continué cette politique de droite? La réponse s'impose d'elle-même: c'est parce que la Grèce n'a pas  d'Etat. J'ignore si en fait elle a ou n'a pas de cadastre, mais le fait que le bruit circule qu'elle n'en a pas indique qu'on ne serait pas étonné qu'elle n'en ait pas. En tous cas une des obligations imposées par les européens est qu'elle crée a Athènes l'équivalent d'un INSEE, ce qui prouve qu'elle n'a pas d'institut de statistiques économiques indépendant. Ce qui a du surprendre les chefs de gouvernement . Si j'étais grec, la première question que je poserais aux anciens et nouveaux gouvernants serait celle-ci: Pourquoi n'avez vous pas fait payer les riches, les armateurs et l'église orthodoxe étrangement protégés du fisc par la Constitution?

Aléxis Tsípras 

jeudi 4 juin 2015

Fin de partie.




L’accumulation des opinions sur le collège, dont aucune ne constitue un projet, achève de me fatiguer d’une vie politique qui ne prend aucune décision. Je suis fatigué de n’avoir pour seule raison de voter à gauche que mon rejet de la politique de l’UMP en faveur des riches, des très riches et des nationalistes agressifs. Quant à Marine, dont je reconnais  qu’elle a abandonné le vieux fascisme et le vieux colonialisme à son père devenu embarrassant, qui peut croire parmi ses électeurs que les immigrants pauvres sont les principaux responsables de la stagnation économique française. Nous savons bien, après dix ans d’échecs, que l’Europe, qui a été aidée au moment le plus difficile par le Président italien de la Banque Centrale Européenne, finira par se redresser, non pas à cause de ses propres progrès mais parce que le prix du pétrole a baissé,  que le change de l’euro par rapport au dollar s’est affaibli et que les taux d’intérêts sont presque négatifs. Avec de tels avantages il est difficile de ne pas améliorer sa propre situation.
Mais ce qui me préoccupe tout autant est que nombre d’intellectuels ont adopté une pensée qui est au fond proche de celle du Front national : la défense de l’identité, des origines, des frontières, ce qui entraîne le rejet des minorités récemment arrivées. J’entends même à gauche l’éloge du latin et du grec que cette même gauche dénonçait depuis cinquante ans comme un instrument de défense culturelle des « héritiers ».
Il n’est pourtant pas difficile de définir la situation française : après la fin de la reconstruction, la droite a refusé la modernisation que lui proposait Giscard et la gauche dominée par François Mitterrand a été plus loin encore en refusant la social-démocratie acceptée par presque toute l’Europe, c’est-à-dire l’alliance de l’entreprise et des salariés contre les rentiers et les bureaucrates. Devant ce double refus, accompagné d’une violente désindustrialisation, souvent accueillie avec un enthousiasme irresponsable (puisque les échanges internationaux sont fait en grande partie de biens industriels) le monde ,des anciennes classes populaires chassées des grandes métropoles où les loyers doublent se réfugient dans des zones périphériques mal équipées, où les chances de trouver un bon travail sont faibles. Là ouvriers et petits commerçants tombent facilement dans l’escarcelle du Front national.
De 2002 à 2015, période dominée par la catastrophe financière des subprimes en 2007-2008, je ne vois pas une  seule initiative politique, seulement la montée des émeutes et des attentats. Dans un monde où est reconnu partout le rôle moteur de la connaissance, la France est incapable de construire des universités de recherche et ne renforce pas ses institutions du plus haut niveau consacrées à la recherche et à la formation des chercheurs (comme l’X, Normale Sup, le CEA et bien entendu le CNRS, l’INSERM et aussi des institutions indépendantes et très vigoureuses, depuis nos Observatoires jusqu’à l’Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales en passant par le CNAM et toutes les institutions qui contribuent de faire de la France la capitale des mathématiques. La construction d’usines à gaz dont le nom a déjà changé en trois ans me semble aller dans un sens opposé à celui des universités de recherche dont nos amis canadiens viennent de montrer les extraordinaires résultats aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie et bien sûr maintenant en Chine et en Corée. Quand je me tourne du côté de notre gouvernement – pour lequel j’ai voté – je vois en effet un premier ministre qui a de l’énergie, un ministre des armées qui a fait preuve de décision et de courage mais qui ne trouve pas une aide suffisante du côté des gouvernements africains et j'entends s’exprimer les convictions respectables de madame Taubira; je vois aussi l’approbation prochaine par le Parlement d’une loi sur la santé publique qui comporte des décisions extrêmement favorables, en particulier pour les catégories les moins fortunées. Mais je reconnais ne pas avoir encore vue de loi économique dont je puisse attendre des résultats importants pour la France. Enfin, et pour parler de ce qu’il y a de plus sérieux, la désindustrialisation de la France, en particulier du nord et de l’est, n’est pas combattue. La France, à cause de l’échec du Nord et de celui de Marseille envahie par les mafias, n’a plus que deux métropoles pour participer activement aux réseaux des villes mondiales dont parle si bien Saskia Sassen : Paris et Lyon, une bonne quinzaine de millions d’habitants, puisque Toulouse et Bordeaux ne sont pas des capitales régionales, leur activité étant décidé pour l’essentiel à Paris. Loin de moi de dire que tout va mal en France. Ce pays a perdu de très grandes entreprises. Le monde reconnaît la haute qualité de nos ingénieurs et de nos écoles de commerce ou de business et les réussites de nos grandes équipes scientifiques. Mais qui nous propose un bon en avant ? Je vois plutôt les frondeurs préparer un bon en arrière jusqu’à 1936 et 1945, années par ailleurs Ô combien admirables. J’ajoute que notre pays, nos paysages, nos monuments, notre histoire gardent une grande force d’attraction.
Mais attention! Entre les connaissances scientifiques et les réflexions philosophiques ou littéraires il existe en France un immense gouffre, un vide politique. Nous n’avons plus ni partis, ni syndicats (puisque la CFDT reste subordonnée en puissance à la CGT).
Je demande donc à tous ceux qui se soucient du redressement de la France de chercher concrètement des solutions à cet disparition des objectifs et des méthodes politiques. J’aimerais que les Français soient invités par référendum à dire quels sont les deux, trois ou quatre grands partis dont il estiment l’existence, l’activité et la force nécessaire pour la France. Nous avons besoin d’un renouvellement analogue à celui que la France, sous la direction du Général de Gaulle et avec la participation du Parti communiste et de très hauts fonctionnaires formés dans la résistance, avait réussi au lendemain de la Libération.
Ce qui manque à la France c’est un renouvellement politique  qui lui permette de choisir un avenir.
Un dernier point. Je comprends  les intérêts qui poussent certains à demander l’introduction du système proportionnel, mais il faut limiter les effets négatifs bien connus de ce système n'en acceptant comme candidats aux élections que ceux qui représentent des partis présents sur tout le territoire. Je demande à ceux qui me lisent  de dire autour d'eux s’ils partagent mon sentiment qu'il est urgent de réveillé la  politique. 












jeudi 23 avril 2015

Mare nostrum

Ce n'est plus un naufrage ou même une série d'accidents en haute mer; c'est plus qu'un assassinat de masse de réfugiés syriens ou érythréens par des trafiquants mafieux qui envoient volontairement des milliers de réfugiés à la mort; c'est la barbarie sauvage qui s'est emparée de la Somalie, de la Libye, de la Syrie, où il n'y a plus d'Etat, plus d'ordre public, plus de protection des plus faibles. La mort est le seul maître, sur mer comme sur terre. Et nos pays européens, encore solides, sont incapables de sauver les victimes, de les accueillir, de détruire les navires mafieux, de créer un tribunal  international pour juger les assassins de la mer.
   Il ne s'agit plus ici d'action humanitaire; il s'agit de ne pas abandonner au pouvoir des mafiias, légales ou illégales, la vie de milliers, de dizaines de milliers, demain de centaines de milliers de gens chassés de leur pays en décomposition et jetés à la mer. Aux portes de l'Europe on comprend que l'Union Euopéenne se sente impuissante devant Poutine surarmé;mais pourquoi capitule -t-elle devant  des bandits de haute mer, des groupes de malfaiteurs presque sans armes?
   A quoi sert l'Europe si elle n'est pas capable de sauver  ceux et celles qui lui demandent refuge et protection? On nous dit que notre horizon s'éclaire;devons nous considérer notre impuissan ce et notre indifférences devant ces morts scandaleuses comme une lâcheté nécessaire à notre redressement?
 Des centaines  de milliards sont benoîtement mises à l'abri dans des paradis fiscaux; nous faisons semblant de l'ignorer; devons nous ignrer aujoiurd'hui  avec la même indifférence,  les milliers de corps déchirés que la mer nous renvoie? Cette mer, mare nostrum, fut l'allée centrale de notre civilisation;  Doit elle aujourd'hui  être le cimetière de notre respct de la vie humaine?







mardi 10 mars 2015

Pendant que l’Assemblée nationale délibère sur la fin de vie




Nous sentons tous que quand nous participons à la réflexion sur les conditions sur la fin de vie, c’est-à-dire en premier lieu sur la fin de notre propre vie, nous répondons à plusieurs questions à la fois, avec la pleine conscience que ces questions sont toutes de natures très différentes et que ce n’est pas la somme de nos réponses à différentes questions qui peut constituer notre position concrète face à un projet de loi.
Je veux seulement mentionner quelques-unes des questions à travers lesquelles nous avons à chercher notre chemin. Bien que les questions qui se posent le plus directement à nous soient les plus générales, celles qui touchent à notre conception de l’être humain et de sa vie, je préfère commencer par une question pratique car nous savons que les idées les plus respectables peuvent être dénaturées par les conditions dans lesquelles elles sont appliquées. Nous ne pouvons pas parler de la fin de la vie sans être conscients de la profonde ignorance où se trouvent encore beaucoup de ceux qui sont le plus directement concernés. Il y a trop peu de soins palliatifs en France et beaucoup de médecins, s’ils avaient à pratiquer une euthanasie, ne sauraient pas comment s’y prendre. Et savons-nous tous que la moitié des habitants de notre pays meurent dans un service d’urgence, souvent dans un abandon presque complet. J’évoque cette situation parce que si nous prenons part dans le débat de fond, encore faut-il que nous soyons décidés à agir pour que ce qu’on appelle la société respecte les conditions nécessaires pour que le mourant, sa famille et ses proches vivent – j’emploie volontairement ce mot – leur mort dans des conditions qu’ils ressentent comme humaines.
Je prends le risque de passer de ce problème terriblement réel à un débat qui me semble au contraire très éloigné des décisions que nous devons prendre, aussi éloignées que les objections de principe qui ont cherché à interdire l’avortement. Je n’ai aucunement l’intention d’attaquer l’affirmation religieuse que ni la loi ni la médecine ne peuvent avoir le droit de mettre fin à une vie puisque seul le Créateur pourrait enlever ce qu’il a donné ; mais nous n’avons pas, en tant que citoyens, à prendre parti sur une telle affirmation. La seule réponse qu’on nous demande est : que faut-il faire si quelqu’un demande qu’on mette fin à sa vie ? Appel à la liberté que je trouve aussi artificiel que la soumission à une supposée loi divine. Car l’idée du droit au suicide, que personne ne peut rejeter à priori, pose des problèmes d’une autre nature que ceux que nous discutons en ce moment. Faut-il aider à mourir un homme ou une femme jeune en bonne santé mais qui viennent de subir un choc affectif qu’ils ne parviennent pas à maitriser ? je ne veux pas entrer dans ces immenses problèmes. A trop étendre le champ de notre réflexion nous nous rendrions incapables de prendre une décision, quelle qu’elle soit.
Je peux aborder maintenant le problème le moins souvent explicité et qui est pourtant celui qui commande nos attitudes et nos opinions. Je vais essayer de le formuler simplement : nous sommes portés à la fois vers la défense d’un droit que nous jugeons, plus ou moins profondément en nous-mêmes, répondre à notre exigence de liberté : le droit de choisir notre mort comme tous les moments de notre vie ; et en même temps par une crainte, celle d’abandonner cette liberté et notre vie à la pression de ce qu’on nomme d’un terme vague la société, c’est-à-dire l’ensemble des contraintes qui peuvent nous imposer une mort non volontaire  pour des raisons de type économique ou de circonstances diverses,  ce qui est dans son principe inacceptable. Nous savons que des pays, aussi civilisés et démocratiques que la Suède, ont pendant une longue période procédé à des stérilisations obligatoires et nous voyons des pays interdire le recours à des traitements couteux pour des malades très âgés ou atteints de maladie grave. L’horreur et la honte ne sont pas toujours aussi éloignées de nous que nous le pensons.
J’en ai dit assez pour parvenir à une conclusion qui ne répond pas à toutes mes interrogations mais qui me semble nous imposer une ligne de conduite. Il faut fixer un ordre de priorité des arguments, dans quelque direction qu’ils aillent.
La priorité absolue est de reconnaître à chacun le droit de décider de sa vie et de sa mort, s’il exprime cette volonté et il ne suffit pas de parler de respect des droits du malade car souvent ces mots sont placés dans des discours qui recommandent en fait de prendre des décisions contraires à la liberté du malade.
Le second principe en importance est qu’aucun médecin ou soignant ne peut être obligé de mettre fin à la vie d’un être humain, s’il estime que cette décision est contraire à ses connaissances médicales, à son information sur l’état du malade et de ses intentions profondes ou mêmes contraire à ses propres convictions.
Le troisième principe en importance est que la personne qui choisit de mourir doit avoir le droit de choisir les conditions concrètes de sa fin de vie, en particulier la présence ou non de personnes qui l’accompagneront.
Le quatrième principe est évidement que tout acte pouvant conduire à la mort d’une personne provoqué par un acte médical doit être soumis à un jury à la fois professionnel et éthique qui s’assure à la fois des conditions de l’acte effectué et du respect réel et complet de la volonté du malade.
A partir du respect de ces principes fondamentaux peut venir ce qui sera le plus important historiquement : l’évolution de l’opinion publique, et en premier lieu des personnes les plus directement concernées.
Acceptons avant tout de mettre en marche, par nos décisions collectives, une transformation de notre représentation de nous-mêmes dont aucun d’entre nous ne peut connaître à l’avance les conséquences.


lundi 9 février 2015

L’esprit du 11 janvier ...





Oui, c’est indiscutable : il s’est passé quelque chose d’inattendu, d’important le 11 janvier. Que s’est-il passé ? Si nous ne savons pas le dire le souvenir s’effacera, les feuilles mortes et les déceptions recouvriront l’émotion que nous avons, en effet ressentie, nous tous qui avons participé à la marche, qui avions écrit sur nous-mêmes : je suis charlie, qui avions parlé à nos proches, et surtout à nous-mêmes sur un autre ton pendant quelques jours.
Ne cherchons pas à faire, après coup, un discours comme s’il s’agissait de nous célébrer nous-mêmes. Essayons au contraire d’écouter les mots qui nous sont venus ce jour-là. 
Je m’y essaye : il me semble que nous avons été fiers de nous ; ce qui est étrange car nous n’avions pas pris de risques, rien dit ou rien fait d’extraordinaire. La jeunesse était peu présente ; on l’a vite remarqué et c’est même dans les lycées et les collèges, et non parmi les marcheurs, que se sont fait entendre des fausses notes.
Essayons de constater seulement une évidence, d’accepter l’impression que sans avoir rien dit ou fait d’extraordinaire nous avons fait ce que nous n’osions faire et dit calmement, mais avec une conviction qui a étonné ceux qui ne nous connaissent pas ou qui se contentent de nous trouver antipathiques, que nous aussi nous croyons à quelque chose. Nous avons même donné un nom un peu surprenant, en fait assez rarement employé à ce à quoi nous croyons : la République. Mot très politique alors qu’il ne s’agissait pas du tout de politique, encore moins du rejet d’une minorité ou de peur d’une menace. Nous avons dit, sans aucune prétention et sans élever la voix, que nous croyons à la liberté, que pour nous la liberté de parler et d’écrire, de penser et de choisir est plus importante que le choix d’un dieu, que l’engagement d’accepter ses ordres et d’interdire ce qui lui déplait. Nous n’avons pas parlé de l’islam ou de la chrétienté, de mosquées ou d’églises, de majorité ou de minorité. Nous avons dit que nous étions si convaincus des bienfaits de la liberté que nous refusions d’imaginer le pire parce que la liberté, même dans ce qu’elle a de plus discutable, de plus difficile à faire accepter à d’autres, est pour nous une évidence. Et par notre présence sans vociférations et sans dénonciations nous avons bien senti que nous étions prêts à dire, comme nos amis espagnols d’autrefois : no pasaran, sans vouloir pour autant éliminer ni le Ramadan, ni les fêtes de la Sainte Vierge, ni la circoncision, ni le mariage des homosexuels à la mairie. Nous n’avons pas pris d’engagements et nous n’avons pas grommelé d’insultes.
Je ne sais même pas s’il y avait parmi nous plus de gens qui ne supportent pas le retour de l’antisémitisme ou plus de gens qui n’aiment pas la politique de Monsieur Netanyahou
Je sens seulement que nous avons été heureux de nous montrer à nous-mêmes, que nous étions capables de prendre tout seuls la décision de sortir de chez nous avec une lampe à la main et des baskets aux pieds, sans recevoir aucun ordre.
Si je m’exprimais aujourd’hui avec des mots que je n’avais pas dans la bouche il y a un mois mais que, je l’avoue, j’avais dans un coin de la tête. Je dirais au premier inconnu que je croiserais : Ah, si seulement nous étions capables de vouloir quelque chose, je suis sûr que nous pourrions le faire. Podemos ?







jeudi 29 janvier 2015

Le jihad est une chose ; l’apartheid en est une autre



A mesure que nous nous éloignons des massacres commis par des militants d’Al-Qaïda et de Daesh nous cherchons à mieux comprendre les raisons d’agir des jihadistes français et, comme on pouvait s’y attendre, beaucoup évoquent la situation difficile, défavorable et chargée de préjugés des jeunes Français musulmans, qui sont fortement atteints par le chômage, relégués dans des quartiers périphériques et des habitations souvent dégradées par leurs propres habitants. 
Inutile de refaire pour la millième fois, après les émeutes de 2005, ce tableau noir des « banlieues » des « quartiers » et  de ce que Manuel Valls a appelé l’apartheid qui frappe une partie importante des jeunes Français musulmans et leurs familles.
Cette démarche est souvent inspirée par des sentiments de compassion ou même de solidarité mais  il n’y a pas un long chemin à parcourir pour passer de cette image du jeune Français musulman comme victime à celle du milieu où se sont formés des assassins de Français juifs et d' auteurs de caricatures de Mahomet. 
Pour faire bonne mesure on peut encore ajouter que l’antisémitisme qui pointe est d’abord un antisionisme qui peut largement s’expliquer par la violence exercée par l’Etat d’Israël, et en particulier par le Premier ministre Netanyahou à l’égard des Palestiniens et en particulier à l’égard des habitants de la bande de Gaza.
Tout semble converger : fanatisme religieux, exclusion sociale, faiblesse de l’identité française, et défense des Palestiniens, victimes du sionisme. Les Jihadistes apparaissent alors comme le groupe le plus radical et le plus violent dans une jeunesse qui s’identifie à un univers musulman maltraité, méprisé et exclu.
Je présente cette explication de manière aussi objective que possible et je connais certains de ses défenseurs pour qui j’ai la plus grande estime intellectuelle et dont je respecte la compétence.
Et pourtant je la considère cette  comme fausse et dangereuse. 
D’abord, elle est dangereuse car elle implique que la majorité de la jeunesse issue de l’immigration appartient à la même population, qui on serait tenté de dire à la même communauté  que les auteurs  des assassinats qui sont eux-mêmes citoyens français, comme l’étaient Kelkal ou Merah. Par conséquent il semble normal de penser que les meurtres commis par  quelques-uns seront imités par d’autres, voire par beaucoup d’autres. Parlons plus brutalement : devons-nous voir dans un grand nombre de jeunes Français musulmans de possibles auteurs d’attentats ?
Il n'est pas question accuser les partisans de la thèse ci-dessus évoquée de vouloir en tirer ces conclusions. En revanche, si nous sommes incapables de présenter des arguments sérieux contre une thèse qui sème la suspicion et repose sur elle, nous risquons d'entrer  dans l'ère des soupçons.

L’argument principal que j’avance contre la thèse que je pourrais appeler celle de la victimisation et que je rejette est que l’action des Jihadistes a d’autres causes et d’autres significations que des protestations contre une situation d’exclusion ou au moins de marginalisation.
Le Moyen Orient arabe a connu de nombreuses tentatives de nationalismes modernisateurs et anticolonialistes mais aussi beaucoup d’échecs. Alors que l’Egypte a gardé de Nasser, malgré sa défaite de 1967, malgré sa dérive policière et sa répression violente contre les Frères musulmans et les communistes, une image non seulement positive mais qui fait de lui le grand héros de l’Egypte moderne, les régimes baassistes, celui de Saddam Hussein en Irak et celui de Hafez El Assad puis celui de son fils Bachar en Syrie régimes au départ républicains et laïcs, ont laissé la marque d’échecs à la fois violents et honteux. Alors que Nasser a construit le barrage d’Assouan et voulu développer une économie modernisée, l ’Irak et  la Syrie  sont noyés dans la rente pétrolière, comme plusieurs autres pays.

 Or, quand un pays perd son avenir et se replie sur son passé, quand ses projets échouent et qu’il s’identifie à sa culture, et surtout à sa religion, la vie sociale et politique s’inverse autant que la vie économique et la volonté de moderniser son propre pays est remplacée par la haine des pays étrangers qui, en se modernisant, ont augmenté leur puissance et leur influence. Ce qui nous frappe dans les assassinats perpétrés par Daesh ou Al-Qaïda c’est la haine de l’autre et la volonté d’être barbare pour mieux les terroriser.
En d’autres mots le Jihad est centré sur une identité islamique transformée en volonté d’égorger l’ennemi de l’islam, tandis que le retour à l’islam et même l’antisémitisme de nombreux Français musulmans ou convertis sont fondés sur leur conscience d’être victimes d’une discrimination et d’une ségrégation. D’un côté, c’est une guerre politique et religieuse; de l’autre côté, c’est une protestation économique et sociale contre l’inégalité et l’injustice.
La répression menée contre les auteurs des attentats passés ou à venir ne fait pas avancer les revendications justifiées des jeunes Français musulmans contre les discriminations qu’ils subissent.
Quant à la troisième composante de la situation de crise actuelle, l’opposition au sionisme agressif du gouvernement israélien, elle est partagée par une partie importante des populations européennes qui sont très favorables à la création d’un Etat Palestinien.
L’opinion française est justement scandalisée par les attentats et par les actes antisémites et terroristes, mais elle a montré, par l’absence même d’une vague d’arabophobie, après les attentats, qu’elle ne confondait pas une caricature de Mahomet qui avec la lutte indispensable contre la discrimination et la ségrégation dont est victime la majorité des jeunes français musulmans.
Il faut lutter contre les Jihadistes; il faut aussi disparaître la discrimination dont sont victimes les descendants d’immigrés, mais ce sont deux problèmes différents. L’un concerne surtout les forces de sécurité; l’autre nous concerne tous et correspond à la volonté de liberté et d’égalité à laquelle notre nation vient de démontrer son attachement.