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lundi 12 octobre 2015

L'irremplaçable.


Je trouve une belle idée dans le livre de Cynthia Fleury, psychanalyste et philosophe. Elle ouvre son livre L'Irremplaçable par une opposition entre l'individuation et la subjectivation. Les hommages à la subjectivation ne sont pas si fréquents et celui-ci a du poids ! Mais il faut que cette opposition soit pleine et entière, tout en donnant une force égale aux deux formes opposées de destruction de la place centrale que nous avons accordée pendant si longtemps à la société, au social, dans nos pensées sur la grandeur humaine. Elle a visé juste en recourant au thème de l'irremplaçabilité du disparu ou de l'aimé. Thème que nous voyons ressurgir après des siècles d'apparente disparition dans les feux de la passion romantique. Nous revient à l'esprit la phrase parfaite de Montaigne parlant de La Boétie, auquel le liait une amitié profonde, qui ne fut interrompue que par la mort de son ami à l'âge de 33 ans: "parce que c'était lui, parce que c'était moi". Montaigne n'est pas la figure accomplie de la subjectivation, mais nul n'a mieux parlé que lui de l'ami irremplaçable. Plusieurs livres récents ont redonné vie au thème de la singularité, mais Cynthia Fleury a visé plus juste en plaçant au coeur de l'individuation l'idée douloureuse et captivante de l'irremplaçable.


mardi 6 octobre 2015

Subjectivation / Désubjectivation


1) Subjectivation.

Pour moi c'est le mot que j'emploie avec le plus de joie et de respect à la fois ; j'en viens parfois à croire qu'il est capable par lui-même de faire apparaitre ce qu'il désigne et qui est pour moi ce qu'il y a de plus beau dans une vie humaine. Mais ce mot n'est pas encore répandu et on risque en l'employant de lui donner un sens exactement opposé à son sens réel. C'est pourquoi je veux faire connaître le sens de ce mot que j'aime avec passion et dont j'ai fait mon drapeau: la subjectivation.
Chacun comprend assez facilement que sa racine est: sujet et que par sujet je ne désigne pas celui qui est soumis a un roi ou a un maître, mais le contraire: l'être humain en tant que créateur, transformateur et aussi malheureusement destructeur de lui même et de son environnement social et naturel. 
Ce mot n'est apparu que quand toutes les lumières du sacré ce sont éteintes c'est-à-dire, quand les hommes ont commencé à être tout puissants par leurs machines, leurs connaissances, leurs armes, leurs ordinateurs… et aussi quand la plupart d'entre eux ont eu conscience qu'ils pouvaient être entièrement dominés, manipulés et détruits par les plus puissants. C'est même l'expérience du totalitarisme qui a fait renaitre les idées de sujet et de subjectivation que bien des philosophes avaient voulu étrangler. Car contre la puissance totale il ne suffit plus de défendre des droits, d'imposer des limites au pouvoir des tout puissants ; la seule défense possible est d'affirmer pour soi, mais attention ! Pour tous les êtres humains le droit supérieur d'être créateur, libre et responsable.
L'idée de sujet est réapparue pour remplacer celle de sacré, celle d'un principe créateur extérieur au monde humain. Avec la société industrielle la capacité de création mais aussi la capacité de domination et en face d'elle la volonté de libération ont fait un immense pas en avant qui nous a apporté le meilleur et le pire. Mais maintenant nous sommes plus puissants encore que dans la société industrielle, parce que non seulement nous modifions les choses avec nos machines et nos calculs, mais en plus nous modifions les esprits, les opinions, les représentations, les choix, les décisions et par conséquent nous avons besoin de nous affirmer non pas grâce à nos machines mais par nous mêmes comme des créateurs, c'est-à-dire d'affirmer nos droits fondamentaux d'être et d'être reconnus comme des créateurs. Partout s'est répandu le mot qui manifeste le plus clairement ce droit fondamental que nous voulons défendre: la dignité. Je l'avais adopté moi-même il y a quelques années déjà mais je le lis et je l'entends partout et en particulier dans les textes et les discours d'un homme qui est devenu probablement la personnalité la plus admirée dans le monde, le Pape François, qui emploie ce mot constamment. Partout on entend: je veux qu'on respecte ma dignité, je veux être traité comme un être humain, je ne veux pas être humilié. L'exigence de dignité est l'expression la plus concrète de la subjectivation. En tant qu'être humain je suis un homme ou une femme, un employé ou un scientifique, un riche ou un pauvre, un musulman, un chrétien ou un athée, mais dans tous les cas je suis, j'ai le droit d'être un sujet. Le droit d'être un sujet est au sommet de la vie moderne comme le respect du sacré était au sommet des sociétés traditionnelles et faibles.
C'est quand un individu ou un groupe deviennent des sujets, affirment leur dignité, qu'ils peuvent devenir des acteurs de libérations concrètes, culturelles, sociales, sexuelles ou autres. Et contre les pouvoirs totaux ou totalitaires si puissants d'aujourd'hui, il n'y a pas d'autre arme efficace que le soulèvement des dignités humiliées, méprisées, enfermées, décapitées.

2) Désubjectivation.

je relis mon texte sur la subjectivation et j'entends une critique qu'on me fait constamment: on m'accuse de trop parler de ce qui est positif mais de ce qui perd les batailles et pas assez de ce qui est négatif mais qui les gagne. Reproche que j'accepte et même que je revendique. Car le mal parle fort et est convaincant, tandis que la voix de la justice et la liberté reste toujours dans l'ombre et que beaucoup, en essayant d'y avancer, se font tirer dessus.
Je suis sûr d'avoir raison de parler pour ceux et avec ceux qui espèrent des libérations ; mais il faut aussi décrire dans tous ces détails le monde du mal, celui de la violence, du racisme, de l'antisémitisme, du colonialisme, du totalitarisme. Il faut montrer les traits communs de toutes les formes du mal, car elles ont toutes le même objectif: la désubjectivation.
Et il faut parler de toutes avec colère, car elles se situent toutes dans le même univers, celui du refus, de la destruction, du mépris de l'universalisme des droits humains, de la dignité des individus, des groupes, des peuples. La désubjectivation est le refus de voir le sujet dans l'être humain, dans sa vie personnelle comme dans sa vie sociale ou culturelle. Elle réduit toutes leurs conduites à l'intérêt, au pouvoir ou à la violence. Derrière tous les totalitarismes, et les maintenant debout comme le cadre maintient la toile, on voit le mépris des individus et des collectivités, le pessimisme sans issue qui prépare la soumission a un mal qu'on feint de juger invincible. 
C'est pourquoi les armes les plus indispensables a ceux et celles qui veulent combattre la désubjectivation sont l'estime de soi et des autres et le courage de l'affirmer publiquement.


lundi 5 octobre 2015

Les deux France selon Guilluy.

J'ai suivi avec grand intérêt et même admiration le travail du géographe Christophe Guilluy. Parce qu'il est un des premiers a regarder le territoire français d'un point de vue mondial, alors que ceux qui ont redessiné ses régions l'ont fait d'un point de vue étroitement hexagonal. 
Ils montrent que la partie de la France, qu'il appelle métropolitaine, celle qui est bien reliée au monde, est minoritaire par rapport a la France périphérique. Surtout il souligne le profond bouleversement qu'a signifié la disparition des classes populaires de la région parisienne (y compris peu à peu du 93) et leur remplacement par des catégories sociales beaucoup plus élevées. Mais quelle conclusion politique en tire-t-il ? Je suis tenté d'abord de reconnaître dans ses propos un thème central du Front National dont l'électorat est en effet avant tout placé dans la France périphérique et donc dans les classes populaires et aussi parmi les jeunes, plus fortement touchés par le chômage. Mais j'ajoute aussitôt que je tire de cette constatation une conclusion opposée: il faut augmenter fortement et rapidement la part de la France moderne qui se réduit en fait à l'heure actuelle aux métropoles parisienne et lyonnaise. Car Lille n'est plus une métropole depuis la désindustrialisation, ce qui est une catastrophe, et Marseille ne l'est pas - alors que Barcelone l'est - car le clientélisme et la corruption y ont fait de graves dégâts.
Je peux m'appuyer sur l'exemple de notre période industrielle. Les forces de progrès y ont été celles qui défendaient les catégories populaires qui appartenaient à la France moderne, c'est-à-dire industrielle, du pays. Nous avons connu au contraire une longue tradition conservatrice qui s'appuyait sur les régions sous-développées, souvent fortement encadrées par l'église catholique et qui compensaient leur faible influence économique par l'appui qu'elles apportaient à la droite autoritaire. 
j'espère que Christophe Guilluy acceptera ce rappel historique. J'ajoute aussitôt que s'appuyer sur les forces de production modernes veut dire aujourd'hui en premier lieu sauver les agriculteurs et les éleveurs exploités par les industries agroalimentaires. Et surtout qu'il faut appuyer à la fois ceux qui défendent des projets nouveaux et ceux qui ne reçoivent qu'une rémunération insuffisante pour la gestion d'équipements couteux, ce qui est souvent le cas dans le monde agricole. Le F.N. peut parler pour des catégories défavorisées mais il n'est pas capable - et pas préparé - à relancer l'économie française dans un monde internationalisé, ce qui est la condition première de l'amélioration de l'emploi et des rémunérations.




jeudi 1 octobre 2015

Le bluff de Poutine.


Le retour de Poutine aux Nations-Unies après dix ans d'absence a satisfait ceux qui ne voient dans le rappel des crimes de Bachar-El-Assad qu'une nouvelle volonté de l'impérialisme occidental et ceux qui en appellent à l'efficacité de la Realpolitik. Leur argument est simple: l'ennemi le plus dangereux est Daech ; il faut donc s'appuyer sur Bachar dont les forces sont très inférieures et qui ne mobilisent pas des foules de jeunes jihadistes. Cette stratégie semble rationnelle: unissons-nous contre notre ennemi commun le plus dangereux. 
Mais un instant de réflexion nous fait douter de ce raisonnement - et pas du tout pour des raisons morales. Depuis des années la Russie arme Bachar ; il y a même des troupes russes - peu nombreuses il est vrai - dans la région de Lattaquié fidèles à Bachar. Mais quelle part le grand allié russe a-t-il pris dans la lutte contre Daech ? Aucune. Peut-être parce que les généraux russes ont gardé le sinistre souvenir de leur défaite complète devant les talibans d'Afghanistan.
Rien, absolument rien, ne nous prouve que l'armée syrienne armée par les russes et appuyée directement par eux peut l'emporter sur Daech. Bachar ne contrôle qu'une faible partie de son territoire et c'est toujours vers Daech qu'affluent les jeunes jihadistes. Deux bons connaisseurs de la région, Gérard Chaliand et Marie Mendras ont apporté récemment une information importante. Poutine perd du terrain dans le Donbass, là où les sécessionnistes ukrainiens sont le plus forts. Ne cherche-t-il pas en Syrie une compensation a ce revers ? Ne dit-il pas a Obama: attaque Daech et pendant ce temps je remettrai en selle mon ami Bachar, défait et detesté. De toute évidence donc, il ne faut pas se laisser manipuler par Poutine. J'en reviens a ma positon déjà ancienne: c'est aux Etats nationaux sunnites, Turquie en tête, de combattre Daech au sol. Reste pour moi un point obscur: pourquoi l'Iran chiite qui vient de signer un accord important avec les Etats-Unis appuie-t-il si fortement Bashar et Poutine ? La réponse est peut-être au Yemen ou l'Iran se heurte à la coalition menée par l'Arabie Saoudite ; mais les deux régions sont nettement séparées...
Je dois d'urgence me renseigner.

mercredi 30 septembre 2015

Défense de l'Etat national.


Les catalans viennent de voter pour leur indépendance. Ils ne sont pas vraiment arrivés à une majorité absolue des suffrages mais ils ont élu une nette majorité d'indépendantistes.
Si on ajoute que la Bavière a un parti Chrétien démocrate différent de celui de l'Allemagne, dirigé par une très forte personnalité - l'actuel ministre des finances Schaüble et qu'en Italie la Ligue, qui est séparatiste, gouverne une grande partie de l'Italie du nord et enfin si on se souvient que les communautés belges sont séparées l'une de l'autre par des langues différentes, comment ne pas reconnaitre que la France "une et indivisible" est en fait isolée devant une crise générale des Etats nationaux. Comment surtout ne pas voir qu'elle n'est pas elle-même a l'abris de mouvements séparatistes ? Le gouvernement est très conscient du renouveau possible du mouvement breton ; c'est même la raison pour laquelle il refuse de rattacher Nantes à la Bretagne.
Dans un monde dominé par le commerce international, Singapour et Hong-Kong sont des villes-mondes en lutte pour leur indépendance ou pour son renforcement.
Dans le cas de l'Espagne ce n'est pas sa supériorité économique qui explique la volonté d'indépendance de la Catalogne ; c'est une raison contraire ; c'est parce que Madrid dépasse de loin maintenant Barcelone dans la vie économique internationale. Les catalans cherchent a se protéger contre la domination de la capitale de l'Espagne. 
Mais la tendance dominante aujourd'hui n'est pas la fragmentation des anciens Etats ; c'est plutôt la création d'Etats homogènes, communautaires. Par exemple en Europe c'est le cas des Etats nés de la décomposition des empires, turc, russe, ostro-hongrois et même du mini-empire serbe. Ce modèle d'Etat est le plus dangereux car il porte en lui la guerre avec ses voisins.
C'est parce que je suis résolument opposé aux Etats communautaires que je reste attaché aux Etats nationaux. Car en ceux-ci des populations de cultures différentes se mélangent pour constituer une civilisation, c'est-à-dire une voix d'accès a l'universel. De petits Etats, comme les Pays-Bas ou la Suède ont créé de grandes civilisations, ont fait naitre des penseurs et des scientifiques et ont inventé des institutions. Surtout ils ont été des défenseurs de la tolérance. Je ne trouve pas de défenses suffisantes contre le communautarisme dans le multi-culturalisme qui a été tant à la mode au Canada, en Grande-Bretagne, aux Etats-Unis et même en Allemagne pendant les récentes décennies. J'ai plus de confiance dans la mixité, le mélange et même le métissage, qui aident des cultures particulières à s'élever vers l'universel. Notre vrai problème en Europe est: sommes-nous encore capable de créer une civilisation où sommes-nous réduits à être un territoire d'expansion pour la culture américaine ?  



mercredi 23 septembre 2015

En paix avec moi-même.




Aujourd'hui sort en librairie mon livre: Nous, sujets humains. Editions du Seuil .   Je me sens plus proche de ce livre que de tous ceux que j'ai écrits avant lui et même de La fin des sociétés qui m'a imposé tant d'efforts pour sortir intellectuellement des sociétés industrielles et nager longuement et difficilement vers un continent nouveau, pour quitter une société où les acteurs organisaient leurs luttes autour du travail. Je suis arrivé sur une terre où s'entendent surtout l'affirmation ou la négation du sujet humain, de ses droits et de sa dignité. Il est vrai que ma tête est encore pleine de catégories et de notions qui sont celles des sociétés industrielles où j'ai passé une bonne moitié de ma vie. Mais je commence à m'habituer aux voix que j'entends autour de moi et en moi. Ce que j'ai découvert d'abord dans ce monde nouveau c'est que partout le pouvoir y débordait la possession des ressources et consistait surtout a construire les images que les êtres humains ont d'eux-mêmes, de leur société et de leur environnement. J'ai senti se réveiller en moi le vieux thème effrayant mais éclairant du totalitarisme. Je suis si heureux d'être finalement parvenu à mettre le pied sur une terre jusque là inconnue. Si heureux que je voudrais considérer ce livre qui paraît comme mon premier livre, alors qu'il risque d'être le dernier.
Probablement parce que ce monde nouveau où je suis certain d'être entré, si il me fera entendre beaucoup de voix différentes de la mienne, me maintiendra protégé des discours structuralistes et que j'appelle post-marxistes qui m'ont si souvent fait tourner la tête sans me convaincre. J'ai aussi la quasi certitude que, quand je me suis si longtemps arrêté pour écouter la libération de Paris, les mouvements étudiants de Berkeley et de Nanterre, les manifs de l'Unité populaire chilienne, les grands mouvements libérateurs de Budapest, de Prague et surtout de Pologne, les rassemblements organisés par le sous-commandant Marcos à la frontière du Chiapas et du Guatemala et tant d'autres voix si vite éteintes, j'entendais les signaux qui m'indiquaient la direction du monde nouveau où j'allais si tardivement débarquer. Je suis au moins certain de ne pas avoir obéis aux sifflets des pouvoirs idéologiques, politiques et économiques qui prétendaient me montrer mon chemin. Certes j'ai souvent été écarté, mis de côté mais je ne me suis jamais arrêté de marcher et je sais maintenant que c'était dans la bonne direction. 
Je suis fatigué, peut-être déçu, parfois même triste, mais je termine ma vie en paix avec moi-même.

lundi 21 septembre 2015

Pourquoi le "sujet" est-il mort - pour les intellectuels - au milieu du 20ème siècle ?


Pourquoi la pensée sociale, au lendemain de la crise et de la guerre, élimina-t-elle les acteurs et leurs raisons d'agir et fit-elle la chasse à l'idée de sujet ? La réponse évidente est que les "événements", les massacres, le nazisme, tous les totalitarismes ont écrasé les acteurs sous le poids de la puissance et de la violence ; la mort a été plus forte que la vie et la répression a écrasé les convictions. Et finalement, comme l'avait prédit de Gaulle dès le 18 juin 40, c'est la puissance des armes et de l'économie qui a vaincu la machine nazie.
Plus profondément c'est parce que ceux qui parlaient alors de "l'Homme" étaient de mauvaise foi. "Le travail rend libre" est-il écrit dans le métal à l'entrée d'Auschwitz 1 et Staline n'exaltait-il pas "l'homme nouveau soviétique", Pétain à Vichy était appuyé par la hiérarchie catholique. L'appel aux valeurs ne cachait-il pas la tentation de la soumission et de la collaboration ? Il a fallu la dénonciation des totalitarismes et la perte des espoirs mis dans "le progrès" pour que nous commencions a nous tourner vers nous mêmes, pour trouver dans notre créativité et dans nos droits les raisons d'agir que nous ne trouvions plus dans "la force des choses".
Mais il a fallu un long demi siècle, une grande partie de ma propre vie pour que s'opère ce grand retournement et le "retour du sujet".